Chamussy (René) – Chronique d’une guerre: Le Liban 1975-1977 – éd. Desclée – 1978

Désintégration de l’Armée Libanaise en différentes « armées » au cours de 1976

 

Armée du Liban Arabe (ALA)

C’est à la fin de janvier 1976 que le lieutenant Ahmad el-Khatib quitte l’armée libanaise en compagnie de quelques hommes pour protester contre la partialité manifestée par ses officiers en faveur des chrétiens. Soutenu et encadré par des hommes du Fath, Khatib constitua alors l’Armée du Liban Arabe qui se voulait le noyau de la future armée libanaise et qui adoptait le programme du Mouvement National. Prônant la déconfessionnalisation, cette armée était en fait essentiellement musulmane et soucieuse de se relier aux partis de gauche, elle se retrouva bientôt, par l’intermédiaire de ses chefs, plus proche des groupes religieux musulmans et de certains leaders traditionnels que de Kamal Joumblatt qui, après avoir soutenu l’entreprise, ne manqua pas par la suite de la prendre vivement à parti : il l’accusa tout particulièrement de s’être laissé investir par des éléments prosyriens. L’Armée du Liban Arabe, que la Libye aida financièrement à survivre et qui joua un rôle certain tant sur le plan militaire (elle avait récupéré la majeure partie du matériel de l’armée libanaise) que sur le plan administratif (contrôle de l’essence,…) se dota d’un groupe parallèle, les « Partisans de l’Armée du Liban Arabe ». Cette création suscita de vives controverses au sein du Mouvement National.

En janvier-février 1976, au sein de l’Armée Libanaise, un mouvement nouveau germait, peu porté à se soumettre aux desiderata de la Syrie. Tout au long du mois de janvier, le processus de désintégration de l’Armée était allé en empirant. Dans la Békaa, un lieutenant sunnite, Ahmad el-Khatib, n’hésitera pas à constituer une « Armée du Liban Arabe » (ALA) qui allait rapidement se révéler être dans la ligne du plus pur nationalisme arabe, à l’image de nombreux groupes de Beyrouth, de Tripoli et de Saïda qui étaient soutenus par des pays comme la Libye et qui, sur le terrain, s’entendaient avec le Fath et les organisations du Front du Refus.

Le 8 mars 1976, une forteresse du Liban-Sud proclamait son allégeance à l’Armée du Liban Arabe ; les 9, 10 et 11 mars, une série d’autres casernes du Liban-Sud, de la Békaa et du Liban-Nord proclamaient leur ralliement au mouvement du lieutenant Ahmad el-Khatib. Ce dernier proclamait le 9 mars les buts très vastes de son mouvement : il s’agissait de refaire un Liban nouveau fondé sur l’arabisme et la laïcité. [1] Les soldats de l’Armée du Liban Arabe se considéraient comme l’armée véritable du Liban nouveau ; ils n’étaient pas des déserteurs, mais des héros et des pionniers. La parole revenait aux autorités politiques. Ces dernières s’étaient déjà préoccupées du problème de l’armée. On avait invité les militaires à regagner leurs casernes ; on avait promis l’amnistie ; on avait poussé l’Imam Sadr à lancer un appel à ses fidèles, majoritaires au sein de l’Armée du Liban Arabe. Tout cela n’avait servi à rien, et les casernes continuaient de tomber. Certains évoquent alors la possibilité d’utiliser la manière forte et de demander aux médiateurs syriens, revenus en vitesse à Beyrouth, d’envoyer l’Armée de Libération de la Palestine sur le front des casernes. Le Haut Commandement se fait pressant : il faut sortir de l’impasse, constituer d’urgence un nouveau gouvernement et régler le problème de l’armée en publiant un décret d’amnistie. Le ton des militaires n’était plus celui de dociles fonctionnaires. Le Président Sleimane Frangié voulut alors mettre à la retraite en bloc tout le haut état-major militaire. Le mouvement d’Ahmad el-Khatib était en fait contrôlé par le Fath, et la création de l’ALA fut une décision palestinienne, d’après un rapport du FPLP du 19 mars 1976.

Dès le 14 mars 1976, les palestiniens et leurs alliés (nassériens, communistes, gauchistes) appuyés par les hommes de l’ALA, lanceront de vastes offensives contre le centre commercial et le secteur des grands hôtels : le célèbre Holiday Inn tombera le 22 mars ; 8 jours plus tard ce sera le tour du Hilton et la ligne de front se stabilisera bientôt au niveau du brise-lame du Port de Beyrouth.[2] Les combats seront tout aussi rudes au Liban-Nord dans le Akkar (Kobeyate) et autour de Zghorta qui perdra ses positions avancées du côté de Tripoli ainsi que dans la Békaa (Zahlé sera encerclée) et au Liban-Sud (région de Kleyaa au Sud de Marjeyoun). Mais l’avancée la plus spectaculaire se fera dans la région de Aley et du Metn-Nord ; c’est à partir de Aley en effet que dès le 13 mars, une double offensive sera lancée : l’une vers Beyrouth par la route de Damas qui se heurtera au verrou de Kahalé ; l’autre vers le Metn, avec bombardement de Beit-Méry et ses environs, et prise de Hammana, Falougha, Qornayel, puis Mtein et Aïntoura qui tombera le 3 avril. Un nouveau front sera aussi ouvert le 14 mai dans la région de Faraya –Ouyoun el-Simane (Kesrouane).

Les événements de janvier-mars 1976 ont provoqué la dislocation de l’armée libanaise. La majeure partie des militaires musulmans rejoignirent l’Armée du Liban Arabe (ALA) du lieutenant Ahmad el-Khatib. Ils s’emparèrent de la plus grande partie de l’arsenal de l’armée libanaise et purent donc offrir aux palestiniens, nassériens et gauchistes un appui très précieux. Les soldats chrétiens de leur côté se retrouvèrent minoritaires et mirent infiniment plus de temps à rejoindre les casernes ou autres groupes armés de la zone chrétienne : le climat qui y régnait ne les attirait guère. Ce n’est qu’à la mi-avril qu’un retournement progressif de la situation commence à s’effectuer. Les militaires de la zone chrétienne se réorganisent ; les fronts sont stabilisés.

Kamal Joumblatt donna son accord au lieutenant Ahmad el-Khatib pour que celui-ci proclame son ralliement au coup d’Etat du brigadier Aziz el-Ahdab le 15 mars 1976. C’est également sous son impulsion que prirent forme les grandes opérations militaires destinées à régler le conflit une fois pour toutes. C’est à partir du 15 mars également que les négociations entre Kataëb et régime syrien commençaient, et que les hommes de la Saïka reçoivent l’ordre de Damas de bloquer l’avance des hommes de Khatib désireux de s’emparer du palais présidentiel de Baabda.Le 25 mars 1976, le président Frangié se verra contraint de s’enfuir de Baabda pour se réfugier à Zouk d’abord, puis à Kfour : c’est l’affolement dans le camp chrétien et Pierre Gemayel lance un appel aux armes.

Le 29 mai, l’Armée du Liban Arabe commandée par le prosyrien Ahmad Maamari attaque les deux villages chrétiens de Kobeyate et Andeqet dans le Akkar ; il s’agissait là d’une provocation qui risquait d’entraîner une intervention syrienne. Et c’était bien là son but. Hafez el-Assad va « prendre ses responsabilités ». Le 31 mai, les troupes syriennes pénétraient dans le Akkar. Le lendemain, des milliers d’hommes de troupe et des centaines de blindés déferlaient sur la Békaa. Les villages chrétiens de Kobeyate et Andeqet au Akkar et de Zahlé dans la Békaa étaient dégagés de l’étau qui les enserrait. Au soir du 1er juin, les troupes syriennes arrêtaient leur progression.Les 9 et 10 juillet 1976, des incendies seront provoqués dans la raffinerie de Zahrani, au Sud de Saïda, pour masquer la disparition d’importants stocks d’essence qui ont été récupérés par l’Armée du Liban Arabe, dont le responsable régional était le major Boutari. Ce dernier sera arrêté et emprisonné le 17 août.

En juillet 1976, le Mouvement National tente de mettre en place des institutions partisanes pour remplacer celles de l’Etat, afin de faciliter la vie quotidienne des citoyens. Cette initiative se heurtera aux activités de l’Armée du Liban Arabe de Ahmad el-Khatib. Cette dernière était elle-même soumise à de grandes tensions internes : on parla de l’existence de courants prosyriens au sein de cette armée[3]. L’évolution politique des chefs de l’Armée du Liban Arabe les conduisit à se rapprocher du président Sarkis et des leaders religieux : le 3 septembre, un certain nombre d’entre eux participe à la création du Front National Islamique dont les revendications étaient nettement moins marquées que celles du Mouvement National.

Au Sud du pays, les officiers de l’Armée du Liban Arabe n’ont pas hésité à traiter avec les officiers israéliens, dans le cadre des commissions d’Armistice établies en 1943. Ce n’est qu’à la mi-août 1976 que la situation va évoluer, suite à l’apparition de milices chrétiennes (appelées Forces Libanaises) aux alentours de Rmeich et de Aïn Ebel, avec des accrochages limités dans plusieurs régions du Sud. Le 17 septembre, des duels d’artillerie se produisent entre Kleyaa (à 3 Km de la frontière israélienne) et Marjeyoun, bastion de l’Armée du Liban Arabe. Le 8 octobre, la situation s’envenime et se dégrade dans toute la région du Sud. Le 18 octobre, les Forces Libanaises s’emparent de Marjeyoun, et le 21, elles se constituent en Armée de Défense du Liban-Sud. C’est ainsi que les positions de l’Armée du Liban Arabe tombaient dans la région Sud du pays. Peut de temps après, début 1977, le lieutenant Ahmad el-Khatib sera arrêté et emprisonné en Syrie, avant d’être relâché en 1978, suite aux événements de Fayadiyé.

Armée du Liban :

 

Ce groupe a été constitué en juin 1976 par le major Fouad Malek. Il rassemble un certain nombre d’hommes désireux de faire pièce au mouvement lancé par le lieutenant Ahmad el-Khatib. Très critiques vis-à-vis de la mentalité qui régnait dans le corps des officiers supérieurs de l’armée, les partisans de Fouad Malek prônent une armée constituée sur le modèle belge ou suisse où chrétiens et musulmans se retrouveraient en des corps d’armées séparés ; politiquement, ils restent proches des idées du président Camille Chamoun. Les hommes de l’Armée du Liban, dont les chars et véhicules blindés arboraient un sigle évoquant les racines phéniciennes du Liban, jouèrent un rôle important dans la prise du camp de Tall el-Zaatar.

Avant-Garde de l’Armée du Liban Arabe :

 

Cette armée s’est révélée à l’occasion de l’entrée en force de la Syrie au Liban le 1er juin 1976. Composée de chrétiens et de musulmans désireux de s’appuyer sur la Syrie, cette armée contrôle la base aérienne de Rayak. Son projet est de combattre pour un Liban arabe, déconfessionnalisé et apte à prendre part aux côtés des autres pays arabes à la lutte pour la Palestine. Son commandant en chef est le major Fahim el-Hajj.

Armée de Défense du Liban-Sud :

 

Elle est constituée à partir de noyaux de l’armée libanaise qui refusèrent de se rendre aux hommes de Ahmad el-Khatib dans la région de Kleyaa (Liban-Sud) et de partisans chrétiens et chiites des villages frontaliers. Cette armée s’est surtout manifestée en octobre 1976 lorsqu’elle commença à repousser les palestiniens loin de la zone frontalière.

Avant-Garde de l’Armée Maani (mouvement du djihad druze) :

 

Regroupement constitué en octobre 1976 par Farid Hamadeh, de la faction druze opposée à Kamal Joumblatt. Proche du Front Libanais, ce groupe s’affirma désireux de libérer le Liban des palestiniens et des communistes. Il était encadré par des officiers de l’armée libanaise, tels Raouf et Wahib Abdel-Salam.

Brigade du Akkar :

 

Regroupement des soldats originaires du Akkar et opposés à l’Armée du Liban Arabe de Khatib. Cette troupe noua des liens étroits avec les Kataëb sous le commandement desquels elle se structura. Son commandant en chef est Khalil Nader.


[1] Le programme de l’Armée du Liban Arabe avait été rendu public dès le 3 février 1976.

[2] D’immenses incendies dévastent le Port du 23 au 26 mars; il en sera de même au début juillet : les dépôts du Port seront alors entièrement pillés.

[3] Ce fut le motif de la démission spectaculaire du major Boutari, le 13 août 1976. Le major était le responsable de toute la région Sud du Liban. Le 15 août, il échoue dans une tentative pour s’emparer de la caserne de Saïda et est emprisonné.

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